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Election présidentielle de 2023 … Mais si le suffrage uninominal à deux tours était à l’origine de tous les vices de la démocratie malagasy ?

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Entre autres sujets, à l’ordre du jour des récentes discussions du 10e dialogue de partenariat entre Madagascar et l’Union européenne : la prochaine élection présidentielle. 2023 c’est effectivement demain. Et il n’est pas anodin que l’Union européenne ait remis d’actualité l’intervention de la mission de suivi électoral à Madagascar du mois de mai. Cette mission de l’UE, on doit le rappeler, dans ses conclusions, s’avouait pessimiste quant aux capacités de réponse aux 27 recommandations émises dans son précédent rapport. Ces recommandations proposaient aux responsables malgaches des points d’amélioration pour assurer un scrutin inclusif et crédible.

Interpellé par le questionnement des représentants de l’UE, le président malgache s’est senti obligé de prôner « la stabilité politique pour permettre une alternance démocratique effective en 2023 » … Rajoelina en chevalier blanc de la stabilité politique et de l’alternance démocratique 😦 … Reflet de son inquiétude quant à l’instabilité politique du pays ?

Il est clair qu’émergent ici et là des initiatives et des velléités de contestation de la part d’une opposition regroupant entre autres le RMDM-TIM, le HVM ou autres groupes PANORAMA. Ce noyau d’opposition, se préoccupant de l’inclusivité et de la transparence des élections de 2023 et, de fait, de la CRÉDIBILITÉ desdites élections, souhaite la modification des textes électoraux face au verrouillage de la HCC et de la CENI qui ne seraient que rassemblements d’acteurs favorables au pouvoir actuel.

Et pour rajouter aux préoccupations de ceux qui craignent que les élections ne soient déjà verrouillées, le rapport BAROCI de l’ONG IVORARY fait ressortir un élément pour le moins préoccupant à leurs yeux : 53% des électeurs, même s’ils jugent le pouvoir peu efficace, estiment que « le président mériterait d’être réélu »… Holala …

Le pouvoir a beau jeu de s’afficher en garant du respect des textes électoraux : « Lalalère, je serai le seul à ne pas toucher aux textes quand vous, mes prédécesseurs, l’avez fait ou tenté de le faire pour favoriser vos propres intérêts ». Là, il a trop vite voulu faire oublier que sa tentative de suppression du Sénat, retoquée en réduction des effectifs des sénateurs lui permettait de disposer d’un contrôle sur les deux chambres … Et lui permettait d’avoir un président du Sénat à sa botte pour assurer la présidence en intérim de l’État lors de sa future démission exigée par sa candidature au scrutin présidentiel.

De fait, on pourrait croire qu’il suffirait de se conformer au traitement des 27 recommandations de la Commission d’évaluation de l’UE pour résoudre d’un coup de baguette magique tous les problèmes qui tuent la crédibilité des élections à Madagascar.

L’enjeu en est essentiel. Il s’agit d’affirmer A MINIMA la crédibilité du processus électoral. Cette crédibilité si cruciale pour obtenir le soutien des Partenaires Techniques et Financiers sans l’appui desquels l’Etat malgache n’existe plus. Cette crédibilité si cruciale pour obtenir la concorde nécessaire au fonctionnement a minima de l’État. Cette crédibilité indispensable pour arriver à conserver les positions acquises et la préservation des prébendes fournies par un système mafieux.

Pourtant se pose-t-on véritablement les bonnes questions ? Faut-il faire évoluer les outils en se conformant à ces 27 recommandations ? Ou n’est-il pas temps de penser à changer le système ? Nous avons hérité d’un système calqué stupidement sur le modèle français. Et on sait de longue date que les errements politiques que nous vivons depuis plus de 60 ans relèvent en grande partie de notre aliénation au sein d’un système hérité de la métropole sans aucun ou si peu de rapports avec nos réalités sociales, culturelles et historiques.

On dispose, en guise de socle démocratique, d’une carcasse de 2CV qu’on essaie de faire tenir debout à coups de rafistolages de fortune quand il faudrait changer définitivement de véhicule et passer à … un 4X4 Karenjy.

Nous avons en particulier hérité d’une étrange figure politique élaborée par Charles de Gaulle dans un contexte particulier de crise de pouvoir : l’élection d’un dirigeant élu au suffrage universel direct uninominal à deux tours. Mais n’est-ce pas ce système même qui depuis 60 ans pollue notre vie politique, sociale et économique en s’avérant a) source de fraudes des résultats électoraux et source de toutes les dérives et des scandaleuses gabegies de campagne b) source d’une personnalisation excessive de l’État et de fait source d’instabilité institutionnelle et constitutionnelles ? D’autant que la désillusion démocratique que l’on entretient dans ce système est à l’origine de taux d’abstention de plus en plus élevés sur les différents scrutins … Vous avez dit « légitimité » ?

Ce mode de scrutin universel direct uninominal à deux tours n’a-t-il pas favorisé l’accumulation des pouvoirs entre les mains du seul Président désigné ? N’est-ce pas ici que le « peuple » se met alors à rêver d’un dirigeant providentiel… à rêver d’un raiamandreny fantasmé, despote éclairé qui puisse apporter toutes les solutions … Dangereuse illusion … Dramatiques désillusions parce que de pseudo « majorités » se sont systématiquement constituées en ralliement à la victoire du PRM nouvellement élu…. Tsiranana au pouvoir ? C’est le PSD qui se crée autour de lui … L’amiral au pouvoir ? C’est l’AREMA qui se fédère autour de lui …Ra8 au pouvoir ? C’est le TIM qui se constitue autour de lui ? Rajoelina au pouvoir ??? … Bref …

Et n’est-ce pas à cause de cette personnalisation à l’extrême du pouvoir que l’expression réelle des oppositions se réduit à de dangereuses situations insurrectionnelles et de sanglantes explosions populaires qui ne mettront en place que des alternances approximatives… N’est ce pas toujours à cause de ce pouvoir absolu d’un homme qu’on en arrive aux « Tsak tsak … zato … arivo » du 13 Mai de Tsiranana … Aux mitraillages du 10 Août 1991 sur la marche de la liberté … Au massacre d’Ambohitsorohitra du 7 Février 2009 … Au bras de fer de 2022 qui nous a fait frôler une guerre civile … ?

Quid d’une opposition institutionnalisée, capable de proposition et d’alternative qui puisse être suffisamment sécurisée pour ne pas se soumettre aux ralliements d’opportunité ? Quid de la capacité d’exercice d’un parlementarisme effectif en régulateur de l’exécutif et non pas en godillot du pouvoir ? Et surtout, quid de la construction de véritables débats d’idées, du déploiement de véritables projets et de véritables visions à proposer en alternative ? Et malgré l’engagement de la société civile et des louables initiatives et des revendications telles que celles de la société civile exprimées par Rohy ou l’observatoire Safidy, il semble qu’on soit encore très loin de satisfaire les enjeux de transparence, d’inclusivité et d’équité exigibles d’un État démocratique.

Les majorités de « cour » et de circonstance artificiellement élaborées / achetées autour d’un « monarque » dans ce modèle où la prime à la casserole fait règle, dans ce système où ce qui importe n’est ni l’idée, ni le projet, ni la compétence mais avant tout l’adhésion opportune à un individu, qui plus est peut-être porté par un lobby d’intérêts privés ou étrangers, s’avèrent de fait d’une incurie dramatique. Les achats de voix de députés dénoncés en 2018 par Transparency International Initiative Madagascar en sont l’illustration. Et l’absence de projet de ces acteurs courtisans, leur incompétence politique et leur impréparation à la prise de pouvoir s’avèrent catastrophiques quand il s’agit de prendre en charge des enjeux économiques et sociaux de la Nation.

Le problème se résume-t-il à la neutralité de la CENI ou à l’indépendance de la HCC ou à la qualité prétendue de la liste électorale pour résoudre les problèmes de sous-développement du pays et de la construction d’une Nation ? Ou bien n’est-il pas temps de se pencher sur les défaillances profondes du système qui fixe l’élection d’un monarque prétendument omnipotent qui ne résout rien faute de représentativité ?

En bref, n’est-il pas temps de penser à changer de système et de préparer la mise en place d’une alternative à cette élection d’un président sur un mode de scrutin dépassé et inadapté si ces modalités pervertissent la construction d’une vie démocratique ? C’est une question qui mérite probablement d’être posée…

(Article initialement posté sur Madagascar Tribune le 13 août 2022)

 

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