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Changer le système

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Après son retour à l’indépendance et une première décennie sans histoire, Madagascar a connu de multiples crises politiques qui n’ont pas permis de construire les bases d’un décollage économique ni une structure sociale solide apte à prendre en charge les populations vulnérables. Aujourd’hui, le pays continue à se chercher et subit les conséquences d’errances politiques jusqu’ici inabouties. Le constat qui s’impose est amer : notre système est inopérant.

L’économie est affaiblie, portée par des acteurs économiques et un secteur productif mal soutenus. L’industrie est peu développée notamment en raison d’un approvisionnement en énergie cher, insuffisant (délestages à répétition) et instable. La productivité et la compétitivité sont faibles dans un environnement économique peu attractif subissant une forte pression fiscale, un coût des facteurs difficilement supportable et caractérisé par un secteur informel très important. Malgré un titre de Champion de l’industrialisation attribué au Président de la République, nulle trace des 107 unités industrielles sensées avoir été créées à son instigation, et encore moins de créations d’emplois subséquentes. Les choix des dirigeants du pays n’apportent pas les solutions idoines pour relancer l’économie, mais favorisent un affairisme dont le résultat est l’enrichissement de quelques rares individus au détriment de tout un peuple. Le chômage s’accentue et la population dont plus de 81%[1] est considérée comme une des plus pauvres au Monde est également victime de famine et de malnutrition tout en faisant face à une inflation de 12,1%[2] à ce jour et qui continue de glisser sans que les autorités n’arrivent à la juguler.

Le manque d’entretien de l’ensemble des infrastructures de transport accentué la dégradation des routes nationales – les fonds y afférents ayant disparu – affectant la circulation des biens et des personnes et par conséquent, la dynamique économique. Le budget de l’agriculture a connu des réductions drastiques durant les trois dernières années, ce qui est très préjudiciable pour un pays à vocation agricole (90% de la population[3]) et supposé investir considérablement dans ce domaine. En effet, parti de 7,7% du budget en 2020, il a été réduit à 4,8% en 2021 avant de se retrouver à 6,5% actuellement sans encore retrouver son niveau initial. Et pourtant les importations de riz, principal aliment et principale culture de la population malgache ont augmenté de 31% et 18%[4] sur la même période.

Le changement climatique met à mal un écosystème unique au monde considéré comme un sanctuaire de la nature. A cela s’ajoutent les feux de brousse, la dégradation des sols et le pillage en règle des ressources naturelles qui impactent directement l’environnement et met en péril l’approvisionnement des appareils de production en matières premières et en énergie.

Le tissu social de la Grande Île est quant à lui défaillant. Les énormes besoins en matière de protection sociale ne sont pas couverts par un système encore balbutiant, mais qui repose pourtant sur un lourd endettement public qui va longtemps peser sur le budget national alors que la notion de contribuable s’est totalement perdue pour une population que l’on a habitué à l’assistanat. Le système éducatif est en faillite et forme des chômeurs en puissance avec des infrastructures et des équipements largement insuffisants, des programmes à mettre à jour et un corps enseignant en grande partie peu qualifié. Même situation pour le système de santé qui est en déficit, manquant également d’infrastructures, d’équipements et de ressources humaines, mais aussi lourdement affecté par la pandémie. Il ne peut assurer une couverture médicale appropriée à la population condamnée à l’automédication et aux pratiques traditionnelles encore mal maîtrisées.

Il résulte de tout ce qui précède une conjoncture politique très tendue. En effet, l’administration est dépassée et reflète une mauvaise gouvernance caractérisée par, une corruption omniprésente, la non application des lois, les vindictes populaires comme le cas de Lalazanaoules exécutions sommaires comme le cas de la tuerie d’Ikongo. La priorisation de politiques contraires à l’intérêt général, les tensions sociales et ethniques, témoignent de l’inconséquence des dirigeants et de certains élus de la majorité qui tiennent des propos inappropriés. L’insécurité est généralisée. Le grand banditisme et la criminalité sont en recrudescence en ville comme à la campagne, de même que l’insécurité alimentaire, et bien d’autres encore. La décentralisation qui est inscrite dans la Constitution et annoncée comme politique publique essentielle, n’est à l’évidence pas une priorité. La désignation au lieu de l’élection des gouverneurs en est la preuve. Les analystes s’accordent d’ailleurs pour dire que le pays s’est fortement centralisé durant les 4 dernières années.

A la veille des élections, le verrouillage de la liberté d’expression qui est un droit fondamental dans une société démocratique, constitue un signal négatif à l’endroit d’une population aux abois. Les abus dans l’usage de la puissance publique sont légion. Ainsi, les inaugurations sous les couleurs du régime en place, des réalisations gouvernementales financés avec l’argent public s’enchainent et servent de prétextes à l’organisation de meetings de pré-campagne qui ne disent pas leur nom, alors que dans le même temps, l’opposition est interdite de meeting sauf dans des lieux fermés, ce qui réduit considérablement leur latitude. La violation des textes notamment de la Constitution est notoire, ce qui était le cas lorsque les députés ont engagé la procédure de motion de censure en décembre 2022. Ainsi, aux yeux de nombreux observateurs, la séparation des pouvoirs consacrée par la Constitution, aurait été foulée au pied par un régime qui a mis la majorité parlementaire au pas en toute impunité ce qui interroge sur l’impartialité de la Haute Cour Constitutionnelle, Institution chargée de veiller au respect du texte fondamental. Interrogation dont l’acuité est accrue du fait que cette même cour est normalement en charge de juger les élections présidentielles qui se profilent.

Les préparatifs électoraux se déroulent dans un climat de défiance qu’il s’agisse de la refonte de la liste électorale avec tous ses préliminaires (jugements supplétifs et opération carte nationale d’identité) que du financement des élections, la méfiance et la confusion règne. Depuis janvier 2023, les partis d’opposition réunis au sein de différentes plateformes de même que les organisations de la société civile ont commencé à s’organiser et à interpeller le pouvoir et la communauté internationale. Des propositions de lois tenant compte des recommandations des observateurs électoraux ont été déposées à l’Assemblée Nationale par les députés d’opposition afin d’améliorer le cadre règlementaire des élections, aussi bien le régime général que les structures. Cependant, compte tenu de la profondeur du mal et pour prévenir une crise pré-électorale ou post-électorale, il est nécessaire de changer le système.

C’est dans ce sens que l’idée d’une entente nationale pour poser de nouvelles bases acceptées par tous est apparue. Il ne s’agit pas d’un soulèvement populaire, mais d’une dynamique partagée fédérant les forces politiques dans un élan commun pour l’intérêt national. Il est séduisant d’envisager que nous pourrions ainsi nous doter d’un système électoral assurant d’une part l’équité entre les candidats et d’autre part la stabilité en liant l’élection du futur président avec des parlementaires sur une même liste. De surcroît, le jugement des élections relèvera de la compétence de tribunaux locaux, ce qui devrait rétablir la confiance tout en donnant plus de célérité au processus. La campagne qui sera étalée sur plusieurs mois, sera axée uniquement sur le débat d’idées car les dons de goodies seront interdits. Pour ce faire, un gouvernement neutre, adoubé dans sa mission par les forces vives de la nation mais composé de personnes qui ne seront pas éligibles pour toutes les futures élections dont l’organisation lui incombera devra être mis en place. Concomitamment avec ce gouvernement, l’ensemble des élus actuels sera maintenu jusqu’à la fin de leur mandat. En effet, les appareils administratifs et législatifs doivent être pleinement opérationnels pour permettre la réalisation de ce saut transformationnel. Parmi les principaux changements en vue, l’éclatement du pouvoir central en faveur d’une démétropolisation sera sans doute le plus important. Ce qui au regard de l’étendu de notre île continent a du sens pour garantir également un développement équilibré.

Changer le système à travers un Gouvernement d’Entente Nationale Intermédiaire pour les Élections (GENIIES), mais toujours dans le respect des institutions et des valeurs démocratiques, que peut-on espérer de mieux ? Ce serait une solution basée sur le « fihavanana et le soatoavina malagasy » et respectant les institutions selon le « teny ierana ».

 

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[1]Perspectives économiques de Madagascar : Surmonter la Tempête (Banque Mondiale 30/04/2022)

[2]Bfm mai 2023

[3]Comment Madagascar peut-il rompre le cercle vicieux de la pauvreté ? Banque mondiale blog (Marie-Chantal UWANYILIGIRA, Marcelle AYO & Francis MUAMBA MULANGU) mai 2023

[4]cf. l’Observatoire du Riz, Bulletin mensuel n°21 février 2023.

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Rasendra
Rasendra
10 mois il y a

Votre état des lieux ne saurait invoquer quelque excuse en faveur des dirigeants qui se sont succédé à la barre du navire Madagascar. Les hommes (et les femmes) sont ce qu’ils sont, mais c’est peut-être le système, censé nous apporter prospérité et sérénité (dixit notre hymne national), qui pêche dans ses grandes largeurs. Plutôt que de laisser le navire sur son erre, voyons effectivement comment rectifier la trajectoire. Une bonne fois pour toutes.

Rabenjamina
Rabenjamina
Répondre à  Rasendra
9 mois il y a

Le rêve serait un système qui puisse mener à un vrai bipartisme qui empêcherait le pays de dériver au gré de leaders insincères ou incompétents voire les deux.
Qui limiterait le mandat à une occurrence unique et empêcherait les retours (contrits ou vengeurs).

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